Il y a quelques semaines, une de mes abonnées sur Instagram m’a envoyé une vidéo YouTube de quatre heures de Philippe Simo de la chaîne YouTube Investir au pays.
Je n’ai pas regardé la vidéo au complet, mais ce que j’ai compris et que la personne qui m’a envoyé la vidéo m’a expliqué, c’est que le live dénonçait une entreprise d’investissement basée au Cameroun qui fonctionnait en réalité comme un système de Ponzi.
Un système de Ponzi est un montage financier frauduleux où les fonds versés par certains participants sont utilisés pour rémunérer d’autres participants et ainsi leur faire croire que leurs investissements sont rentables. Jusqu’à ce qu’il n’y ait plus de nouvelles recrues ou qu’on découvre le stratagème et que tout le système s’effondre.
Ce qui m’a le plus marqué dans cette histoire c’est le nombre de personnes de la diaspora africaine qui participait à ce système. Des personnes vivant ici au Canada, aux États-Unis, en Europe et dans plein d’autres pays développés qui mettaient de l’argent dans cette entreprise pour « investir ».
Je me suis demandé pourquoi des personnes qui ont accès aux meilleurs marchés boursiers du monde préfèrent mettre des dizaines voire des centaines de milliers de dollars dans un investissement nébuleux qu’ils ne connaissent pas dans leur pays d’origine. Ces mêmes personnes qui sont réfractaires à investir en bourse ici, comme témoignait une des participantes, mais qui n’hésitent pas à verser plusieurs dizaines voire centaines de milliers de dollars dans un investissement au pays. Pourquoi ?
Le retour au pays
Beaucoup d’entre nous immigrants africains en occident, envisageons de retourner dans nos pays d’origine ou du moins en Afrique pour nos vieux jours. Ceux qui nourrissent un tel projet veulent généralement avoir quelque chose à leur nom lorsque ce moment arrivera. Je connais beaucoup de mes compatriotes qui préfèrent construire des maisons au Cameroun, créer des entreprises, avoir des plantations et toute sorte d’investissement alors qu’ils sont eux-mêmes à l’étranger. Il y a quelqu’un qui m’a même dit une fois qu’il préférait investir à la bourse régionale des valeurs mobilières (BVRM) de la sous-région Ouest africaine alors qu’il vit ici au Canada.
Ce besoin d’investir au pays est aussi l’une des raisons du succès de la chaîne Investir au pays qui répond à ce besoin de beaucoup d’immigrants africains de créer de la valeur dans leur pays d’origine pendant qu’ils sont eux-mêmes à l’étranger.
Beaucoup de ces investissements faits au pays visent aussi à procurer une source de revenus à la famille restée là-bas. Plutôt qu’avoir à débourser de l’argent régulièrement lorsqu’on est sollicité pour divers problèmes, un investissement permet de résoudre certains problèmes sans qu’on ait à solliciter le membre de la famille à l’étranger. Une de mes connaissances me disait avoir récemment ouvert une quincaillerie au pays pour subvenir aux besoins de sa famille. D’après son plan d’affaires, il faudrait deux à trois ans avant que le commerce soit rentable et à ce moment, il arrêterait d’y injecter de l’argent et laisserait la gestion à sa famille. Ce qui va aussi leur procurer un revenu. Dans une de ses vidéos, Philippe Simo compare l’envoi d’argent à la famille restée au pays à l’aide internationale vers l’Afrique. Il souligne que plusieurs décennies d’aide internationale plus tard, l’Afrique dépend toujours de cette aide. Il en conclut que c’est parce que l’aide internationale s’apparente à donner un poisson plutôt qu’apprendre à pêcher. Il encourage donc vivement la diaspora africaine à apprendre à la famille restée au pays à pêcher (financer des activités génératrices de revenus) plutôt que leur donner du poisson (envoyer de l’argent).
Le revers de la médaille
Pour moi, investir au pays pendant qu’on est à l’étranger c’est poursuivre deux lièvres à la fois et comme le veut l’adage, la personne qui fait ce genre de poursuite est susceptible de perdre sur les deux fronts.
On a tous entendu ou vécu des histoires d’horreur de personnes de la diaspora qui envoient de l’argent au pays pour se faire construire une maison ou pour tout autre projet, reçoivent les belles photos d’avancement du projet et qui, lorsqu’elles arrivent sur place se rendent compte qu’il n’y a rien ou pire, le commissionnaire a utilisé leur argent pour faire le projet en son nom propre ne leur laissant aucun recours. Ou encore le cas de ces personnes qui ont mis leur argent dans un système de Ponzi.
On a également vu des cas où les investissements censés fournir une source de revenus à la famille restée au pays périclitent pour mauvaise gestion ou parce qu’il était trop tôt. Lorsqu’on ouvre une quincaillerie avec l’intention de fournir un revenu à la famille dans deux ans, il est fort possible que le commerce ne soit pas financièrement autosuffisant pour remplir ce rôle. Il y a bien sûr d’autres investissements dans le domaine de l’agriculture et de l’élevage qui sont réputés très rentables à court terme.
Par ailleurs, quand on confie la gestion d’un tel investissement à quelqu’un en lui disant que c’est pour résoudre ses problèmes, quelles sont les chances qu’elle ne pioche pas dans le capital du business pour le lunch, pour s’acheter des habits et même pour résoudre d’autres problèmes comme les maladies et envoyer les enfants à l’école alors que le business n’est pas encore autosuffisant ?
De plus, puisque les ressources ne sont pas illimitées, entreprendre de tels projets dans son pays d’origine signifie qu’on renonce à autre chose ici. Je connais des gens qui préfèrent louer ici et construire au pays. Ils empruntent d’ailleurs de l’argent ici pour aller réaliser des projets au pays. Ce qui à mon avis est la pire chose à faire. Je n’imagine pas leur situation si l’investissement n’est pas rentable.
Vivre dans le présent
Bien que les intentions soient louables et dignes, investir dans son pays d’origine alors qu’on est à l’étranger c’est un peu renoncer à vivre sa vie maintenant parce qu’on en espère une qui soit plus belle dans l’avenir.
Comme je l’ai évoqué tantôt, les ressources ne sont pas illimitées donc s’engager dans de gros projets au pays c’est réduire sa marge de manœuvre et sa qualité de vie ici. En plus, le risque est beaucoup plus grand que celui qu’on prendrait en investissant où on vit. On n’est jamais sûr que la ou les personnes à qui on confie son projet et son argent soient dignes de confiance. Et si ces personnes s’avèrent indignes de confiance, on n’a pas souvent de recours. On peut avoir un recours juridique dans certains cas, mais cela ne rembourse pas l’argent évaporé.
Avoir de bonnes bases
Investir dans son pays d’origine n’est pas mauvais en soi (pourvu qu’on ne rentre pas dans des systèmes de Ponzi). C’est un investissement beaucoup plus risqué parce qu’on ne maitrise pas toutes les variables et que cela nécessite de faire confiance à une ou plusieurs autre(s) personne(s), mais les revenus sont potentiellement plus élevés aussi. Comme le veut le bon sens, on devrait consacrer une petite partie de ses avoirs aux investissements à haut risque.
Donc pour moi, avant de commencer à investir des dizaines ou des centaines de milliers de dollars chez soi, on doit s’assurer d’avoir ici une bonne base financière. De cette manière, si l’investissement ne donne pas le rendement escompté, on ne va pas se retrouver en mauvaise posture. Si c’est un membre de la famille à qui on a confie l’argent, on ne va pas lui en vouloir d’avoir perdu les économies de toute une vie.
L’argument de fournir une source de revenus à la famille est tout à fait valable mais je pense aussi qu’on n’est pas responsable du succès de toute sa famille simplement parce qu’on vit en Occident et qu’on est réputé avoir plus de revenus. Comme je le mentionnais dans mon article sur la Black tax, donner à quelqu’un plus que ce qu’on a c’est se voler à soi-même. On ne peut pas non plus jouer les sauveurs simplement parce qu’on vit en Occident.
Si un membre de la famille sollicite de l’aide pour partir un quelconque projet et qu’on peut le soutenir financièrement, le bon sens voudrait qu’on le fasse sans réfléchir. Mais se dire qu’on va partir des projets pour des adultes qui n’ont rien demandé simplement parce que ceux-ci nous demandent régulièrement de l’argent, et qu’on ne veut plus leur donner notre argent, c’est la recette assurée pour jeter son argent à l’eau.
Pour finir, un autre point important de ces investissements au pays est souvent l’envie de montrer qu’on a réussi. On va construire une maison absurdement grande à ses parents vieillissants, créer un business très tape-à-l’œil pour que les amis, les voisins, la famille disent « C’est Pauline qui construit l’immeuble de quarante étages là »
À chacun ses valeurs.
Très belle analyse! Tout y est dit. Il faut vraiment deconstruire les critères de réussite que la société nous impose. Comme tu le dis « à chacun ses valeurs » ( encore faut-il en avoir réellement…). Il y a un gros creux au niveau de l’éducation financière dans nos pays d’origine qui expliquent en grande partie pourquoi les systèmes de pondzi sont si présents : on croit ce qu’on pense voir comme résultats probants , ce qui ne traduit en fait qu’un manque de connaissances, de discipline et de rigueur vis à vis de soi même et de l’argent… Il faut impérativement bâtir « l’aide » et le remplacement par « la formation, le coaching et l’accompagnement ». Il y a tant à dire…
Merci ma chère Dolly. On devrait effectivement revoir nos critères de réussite et s’assurer qu’ils reflètent toujours nos valeurs et non ce que la société nous pousse dans la gorge. Vivement plus de formation, de coaching et d’accompagnement